Rencontre avec l’une des espĂšces de dauphins la plus rare au monde
Nager avec les dauphins sauvages dans leur habitat naturel est un rĂȘve rĂ©alisable dans quelques rares endroits prĂ©cis de la planĂšte. Mais Ă©voluer auprĂšs des dauphins dâHector (Cephalorhynchus hectori), considĂ©rĂ©s comme la plus petite et la plus rare espĂšce de dauphins au monde, dans le cadre magique du sanctuaire marin de la PĂ©ninsule de Banks, est une expĂ©rience unique !
NĂ©anmoins, nager au beau milieu de la presquâĂźle de Banks dans une eau froide parfois agitĂ©e et trouble, suivant la saison, demeure un privilĂšge qui se mĂ©rite !
SituĂ©e Ă 80 km de Christchurch, la pĂ©ninsule de Banks s’Ă©tend sur 1120 km2. Elle s’est formĂ©e il y a 9 millions dâannĂ©es suite Ă lâĂ©ruption dâun ancien volcan Ă©teint dont le cratĂšre a Ă©tĂ© envahi par la mer. Et câest justement dans ce bras de mer abritĂ© que rĂ©side la population de dauphins dâHector, tout comme les premiers et derniers colons français qui se sont installĂ©s dans le port dâAkaroa.
Interaction magique avec les dauphins d’Hector
Agitation sur le pont avant : un premier aileron puis deux, trois, et enfin huit dauphins pointent leur rostre ! Les dauphins d’Hector sont facilement reconnaissables Ă leur nageoire dorsale ronde qui a la forme d’une oreille de Mickey, au masque noir triangulaire sur les cĂŽtĂ©s de la tĂȘte et Ă leur magnifique robe arborant de subtils dessins. Robustes et compacts, le dauphin d’Hector ne mesure pas plus d’un mĂštre cinquante. Le bateau se trouve Ă prĂ©sent au milieu d’un banc d’une dizaine de dauphins qui semblent trouver un intĂ©rĂȘt Ă notre prĂ©sence. Le capitaine rĂ©duit la vitesse du bateau au minimum et nous attendons son signal pour la mise Ă l’eau. A peine immergĂ©s, les mammifĂšres s’amusent Ă passer entre les nageurs avant de disparaĂźtre pour ressurgir quelques minutes plus tard. Entre Ă©clats de rire et cris de surprise, nous ne savons plus oĂč donner de la tĂȘte et tentons de les repĂ©rer tantĂŽt Ă travers l’eau trouble, tantĂŽt Ă la surface oĂč le guide nous montre la direction Ă suivre. Aucun nageur ne se plaint de la fraĂźcheur de l’eau – 13°C – tant le moment est intense. J’entends un souffle juste derriĂšre moi et le temps d’immerger la tĂȘte, le dauphin m’effleure et s’Ă©loigne aussitĂŽt. Les dauphins d’Hector sont trĂšs grĂ©gaires et il est frĂ©quent de les observer en groupe de 8 Ă 20 individus. Curieux et joueurs, ils peuvent ĂȘtre assez actifs avec les baigneurs tout en gardant leurs distances. Moins les nageurs bougent et plus ils ont de chance de voir leurs nouveaux amis venir Ă leur rencontre. Ceux qui tentent de les poursuivre ou de trop les approcher reviennent bredouilles Ă tous les coups !
De l’utilitĂ© du tourisme pour la prĂ©servation des dauphins
AprĂšs trois quarts d’heures d’interaction avec ces adorables mammifĂšres, nous remontons Ă bord le coeur empli de bonheur et la carte mĂ©moire regorgeant d’images. Les commentaires et les rires fusent dans tout le bateau ; une euphorie Ă©nergisante unie Ă prĂ©sent les nageurs conscients du privilĂšge d’avoir vĂ©cu cette rencontre unique. Notre guide enchaĂźne avec le dĂ©briefing et en profite pour nous sensibiliser sur la vulnĂ©rabiiltĂ© de l’espĂšce. Deux sous-espĂšces de ce dauphin endĂ©mique de Nouvelle-ZĂ©lande sont actuellement connues. Nous avons fait connaissance avec le dauphin d’Hector qui vit au large de l’Ăźle du Sud et se divise en 3 populations gĂ©nĂ©tiquement distinctes, totalisant prĂšs de 7 270 individus (Dawson et al. 2004; Gormley et al. 2005).
Le dauphin de Maui rĂ©side quant Ă lui autour de l’Ăźle du Nord et sa population ne compte plus que 100 individus environ ! Il s’agit actuellement de l’un des cĂ©tacĂ©s les plus menacĂ©s dans le monde. Outre la pollution, les perturbations humaines, la maladie et la dĂ©gradation des habitats, les captures accidentelles dans les filets maillants constituent la plus grande menace pour ces dauphins. En raison d’un dĂ©clin continu de la population – 74% sur 3 gĂ©nĂ©rations – l’UICN a classĂ© lâespĂšce dans la catĂ©gorie « en danger ». D’oĂč l’intĂ©rĂȘt de suivre l’Ă©volution de la population et d’Ă©tudier les changements de comportements sur le long terme.  » Est-ce que le fait de nager avec les dauphins a un impact nĂ©faste sur la population ?  » s’enquiert avec inquiĂ©tude un des passagers. D’aprĂšs notre guide, tant que les mesures rĂ©glementaires d’approche sont respectĂ©es et que les dauphins dĂ©cident de continuer Ă rendre visite aux touristes, les impacts sont trĂšs limitĂ©s.
Une collaboration exemplaire entre scientifique et prestataires de tourisme
Professeurs Ă l’UniversitĂ© d’Otago, Liz Slooten et Steeve Dawson sont considĂ©rĂ©s comme les spĂ©cialistes des mammifĂšres marins de Nouvelle-ZĂ©lande. Forte de son expĂ©rience avec les dauphins et de sa collaboration datant d’une quinzaine dâannĂ©es avec Black Cat Cruise, Liz Slooten peut affirmer en toute lĂ©gitimitĂ© que le tourisme est utile Ă la sauvegarde du dauphin dâHector de la pĂ©ninsule de Banks. Elle est convaincue de l’impact positif des excursions de « nage avec les dauphins » tant pour les touristes que pour les dauphins.  » Il suffit dâobserver les visages des gens qui voient pour la premiĂšre fois un dauphin, et surtout une espĂšce aussi remarquable et rare que le dauphin dâHector, pour se dire que lâexpĂ©rience ne peut que les marquer et que certains dâentre eux auront envie de soutenir les actions de prĂ©servation de lâespĂšce en faisant un don ou en signant des pĂ©titions, comme celle en cours qui rĂ©clame lâextension du sanctuaire marin auprĂšs du gouvernement. MĂȘme sâil sâagit dâun petit pourcentage cela vaut la peine « .
JusquâĂ prĂ©sent le tourisme nâa pas eu dâimpact nĂ©gatif sur la prĂ©sence des dauphins dans la baie. Il y a quelques annĂ©es, les Ă©tudiants de Liz Slooten prĂ©parant un master ou un doctorat ont menĂ© diverses recherches complĂ©mentaires afin dâobserver sur plusieurs annĂ©es le comportement et frĂ©quentation des dauphins dans la baie. Aucun lien nâa Ă©tĂ© Ă©tabli avec les excursions touristiques.  » Nous veillons Ă faire un retour de nos recherches le plus rapidement possible auprĂšs des prestataires de tourisme afin dâĂ©viter quâils aient Ă attendre les publications officielles et quâils puissent se servir directement des informations, tant au niveau de la biologie que de la conservation de lâespĂšce « .
Pendant plus de 20 ans, entre 1986 et 2006, les chercheurs ont menĂ© divers travaux sur la morphologie et la distribution des populations de dauphins dâHector, dont un programme de photo-identification pour estimer le taux de survie et de reproduction ainsi que leurs migrations. Des enregistreurs de donnĂ©es acoustiques sont Ă©galement utilisĂ©s pour connaĂźtre le temps passĂ© par les dauphins Ă l’intĂ©rieur des ports de lâĂźle du Nord et du Sud tandis que des analyses dĂ©mographiques sont rĂ©guliĂšrement rĂ©alisĂ©es pour Ă©valuer l’Ă©volution des populations.
Au final les biologistes sont parvenus Ă identifier 462 individus rĂ©sidant dans la baie d’Akaroa de maniĂšre fiable grĂące Ă leurs blessures, depuis les petites entailles sur la nageoire dorsale jusquâaux grandes cicatrices causĂ©es par des attaques de requins.
La crĂ©ation de l’AMP a permis d’augmenter la survie du dauphin de 5,4%
L’Ă©quipe a ensuite Ă©tudiĂ© l’impact de l’Aire Marine ProtĂ©gĂ©e (AMP) sur les dauphins d’Hector vivant dans les alentours grĂące aux observations photogrpahiques et Ă approche statistique de capture marquage-recapture. Les rĂ©sultats ont montrĂ© que, depuis la crĂ©ation de l’AMP, la survie du dauphin a augmentĂ© de 5,4%. C’est une premiĂšre au niveau de l’Ă©cologie marine ! Selon Liz Slooten  » cette Ă©tude fournit la premiĂšre preuve empirique que les AMP sont efficaces pour protĂ©ger les mammifĂšres marins menacĂ©s.  » Cependant, si la survie s’est amĂ©liorĂ©e de façon significative, le nombre de naissances nâest malheureusement pas encore suffisamment Ă©levĂ© pour empĂȘcher la population de continuer Ă diminuer.
En plus de fournir la premiĂšre preuve concrĂšte de lâutilitĂ© des AMP, l’Ă©tude rĂ©alisĂ©e par l’Ă©quipe de Liz Slooten, illustre l’importance de la surveillance Ă©cologique Ă long terme. « Lâestimation de lâĂ©volution de la population chez les mammifĂšres marins nĂ©cessite souvent plusieurs annĂ©es de recherche pour produire les donnĂ©es suffisamment prĂ©cises qui permettront la dĂ©tection du patrimoine biologique  » explique la biologiste marine,  » or l’Ă©tude montre Ă©galement que pour ĂȘtre efficaces, les AMP doivent ĂȘtre suffisamment grandes.  » On sait donc aujourd’hui que si les AMP fonctionnent, elles doivent ĂȘtre assez grandes pour ĂȘtre efficaces.