SituĂ© entre la Corse et la Sardaigne, entre les falaises calcaires et les chaos granitiques, le dĂ©troit des Bouches de Bonifacio sera bientĂŽt la rĂ©fĂ©rence en matiĂšre de protection internationale du patrimoine marin, et ce malgrĂ© un trafic maritime particuliĂšrement dense. L’ambition du futur parc marin international est de protĂ©ger la RĂ©serve Naturelle des Bouches de Bonifacio (RNBB), cĂŽtĂ© français, et le Parc National de lâarchipel de la Maddalena, cĂŽtĂ© italien, dans une seule et mĂȘme dĂ©marche partenariale. Les deux parties travaillent conjointement sur le terrain depuis quelques annĂ©es et la crĂ©ation du «Groupement EuropĂ©en de CoopĂ©ration Territoriale» a donnĂ© une identitĂ© juridique au parc marin qui devrait donc enfin se concrĂ©tiser.
DĂ©veloppement durable du milieu marin
CrĂ©Ă©e dans le cadre de la mise en place du parc marin international, la RNBB Ă Ă©tĂ© fondĂ©e en 1999. Depuis, l’Office de l’Environnement Corse (OEC), qui en est le gestionnaire, peut se satisfaire d’un bilan trĂšs encourageant prouvant lâefficacitĂ© dâune politique de dĂ©veloppement durable en milieu marin, alliant protection de la biodiversitĂ© et dĂ©veloppement dâactivitĂ©s humaines, en l’occurrence le tourisme et la pĂȘche artisanale.
«Il ne faut pas voir la rĂ©serve naturelle des Bouches de Bonifacio comme un sanctuaire mais plutĂŽt comme un laboratoire grandeur nature oĂč nous expĂ©rimentons diverses mĂ©thodes de conservation en concertation avec les acteurs locaux, et oĂč nous transfĂ©rons toutes les donnĂ©es rĂ©coltĂ©es» explique Guy-François Frisoni, Responsable DĂ©partement « RĂ©seau des rĂ©serves naturelles de Corse ».
Une cinquantaine d’Ă©tudes scientifiques a Ă©tĂ© mise en Ćuvre de maniĂšre conjointe en Corse et en Sardaigne et a permis de prĂ©ciser la valeur patrimoniale du PMI et dâĂ©valuer lâimpact des actions engagĂ©es en matiĂšre de conservation dâhabitats ou dâespĂšces menacĂ©s. Ces programmes divers sont consacrĂ©s tant Ă la qualitĂ© des eaux marines, Ă l’observation des cĂ©tacĂ©s, aux suivis dâespĂšces vĂ©gĂ©tales et animales rares qu’aux comptages de poissons.  » Nous totalisons une vingtaine de stations de comptage situĂ©es entre 10 et 20 mĂštres, aussi bien dans la partie sarde que corse  » prĂ©cise Guy-François Frisoni, « câest une seule et mĂȘme entitĂ© bio gĂ©ographique et les poissons qui vivent ou transitent dans cette zone ne connaissent pas de frontiĂšre !« .
Les biomasses de poissons multipliées par six
Câest au niveau des poissons que les rĂ©sultats de la rĂ©serve sont les plus spectaculaires. Les Ă©tudes de suivis menĂ©es en collaboration avec les pĂȘcheurs de la Prudâhomie de Bonifacio dĂ©montrent la rĂ©alitĂ© dâun « effet rĂ©serve ». DâaprĂšs Maddy Cancemi, responsable dĂ©partement « Parc Marin International des Bouches de Bonifacio » de l’OEC, les biomasses de poissons se sont multipliĂ©es par six dans les zones de protection intĂ©grale en moins de dix ans, 187 espĂšces ayant Ă©tĂ© recensĂ©es jusqu’Ă aujourd’hui. «On observe une explosion de la vie qui profite Ă toute la rĂ©serve et qui permet en partie le maintien des tonnages dĂ©barquĂ©s par la pĂȘche professionnelle ou le succĂšs des activitĂ©s comme la plongĂ©e».
« On sâaperçoit que lâon peut aller trĂšs vite en crĂ©ant des rĂ©serves marines protĂ©gĂ©es mais pas forcĂ©ment en interdisant tout » complĂšte Guy-François Frisoni.
Implication exemplaire des pĂȘcheurs
Cependant, la rĂ©serve intĂ©grale nâest pas le seul outil efficace. « Il suffit parfois de se concerter avec les acteurs concernĂ©s pour gĂ©rer intelligemment les pressions et rĂ©tablir des niveaux de biomasse trĂšs satisfaisants« .
Lâimplication exemplaire des pĂȘcheurs de la Prudâhomie de Bonifacio va dans ce sens. Depuis une vingtaine dâannĂ©es, ils contribuent directement Ă la mise en place des rĂ©glementations visant Ă protĂ©ger la ressource halieutique par la crĂ©ation de cantonnements de pĂȘche, le respect de la taille minimale des mailles de filets trĂ©mails ou la mise en place des rĂ©serves naturelles. Par ailleurs, les donnĂ©es quâils transmettent rĂ©guliĂšrement aux scientifiques de la RNBB permettent dâĂ©tablir des indicateurs de pĂȘcherie pour Ă©valuer lâimpact de chaque activitĂ© de pĂȘche, tester des scĂ©narios dâĂ©volution de la pression et de la rĂ©glementation et enfin faire des recommandations concrĂštes au niveau des effets des aires marines protĂ©gĂ©s et des protocoles appropriĂ©s.
La mise en place du PMIBB
C’est la premiĂšre fois qu’un espace protĂ©gĂ© est gĂ©rĂ© dans sa dimension internationale dĂšs sa conception. «Le Groupement EuropĂ©en de CoopĂ©ration Territoriale (GECT) est un outil communautaire qui nous permet de mettre en place une institution pour coordonner des Ă©quipes franco-italiennes et agir ensemble dans le domaine du suivi scientifique et des problĂšmes de gestion de la plongĂ©e, de la plaisance et du tourisme en gĂ©nĂ©ral» prĂ©cise Maddy Cancemi qui fait partie du comitĂ© de pilotage franco-italien du projet.
Le GECT pour une gestion commune du parc marin
CrĂ©Ă© en 2011, le GECT permet de mettre en place une structure ad hoc avec une Ă©quipe dirigĂ©e par un directeur et un prĂ©sident italien ou français qui tournent tous les 3 ou 4 ans. Les politiques de communication de la rĂ©serve des Bouches de Bonifacio seront ainsi largement imbriquĂ©es avec celles du parc marin international et donc coordonnĂ©es avec celles du PNAM. Un centre dâaccueil du PMIBB devrait bientĂŽt ĂȘtre installĂ© dans la fameuse citadelle de Bonifacio afin dâaccueillir le grand public dans un espace bien identifiĂ©. Surplombant idĂ©alement le dĂ©troit, la structure sera Ă©quipĂ©e avec des moyens de communication ambitieux (photos, films, expositions, mĂ©dias interactifs…) afin de pouvoir mettre en valeur les richesses de cette aire marine protĂ©gĂ©e exceptionnelle et de dĂ©crire les actions menĂ©es par les Ă©quipes sardo-corses.
La rĂ©alisation dâĂ©tudes, de suivis et de publications scientifiques communes entre les deux Ă©quipes sera poursuivie dans les domaines prioritaires Ă savoir les suivis ornithologiques, lâĂ©valuation de lâeffet rĂ©serve, lâĂ©tude conjointe de la pĂȘche et de lâĂ©tude de la frĂ©quentation touristique globale des Bouches de Bonifacio. De nouvelles mesures sont dâores et dĂ©jĂ prĂ©vues pour harmoniser la gestion commune du parc marin. «Nous avons ainsi proposĂ© Ă lâAssemblĂ©e Corse dâinstaurer une taxe de mouillage afin de suivre la dĂ©marche italienne qui fait payer une taxe dâentrĂ©e dans le parc» avance Maddy Cancemi.
Le PMIBB face aux enjeux touristiques
Lâexplosion du nautisme en MĂ©diterranĂ©e est lâune des prĂ©occupations majeures des gĂ©rants de la rĂ©serve et notamment par rapport Ă la conservation des herbiers de posidonies, clĂ©s de voĂ»te de l’Ă©cosystĂšme marin cĂŽtier mĂ©diterranĂ©en, qui sont en forte rĂ©gression dans diverses zones de la MĂ©diterranĂ©e occidentale. «On a lâimpression dâĂȘtre tout le temps confrontĂ© Ă une nouvelle problĂ©matique : les bateaux de plaisance ou de promenades sont toujours plus nombreux et plus grands, le nombre de plongeurs s’accroĂźt continuellement tout comme celui des sites visitĂ©s» constate avec dĂ©pit Guy-François Frisoni qui sâimplique pour la RNBB depuis le dĂ©but de sa crĂ©ation. «On est face Ă une explosion du tourisme : 200 000 personnes visitent les Ăźles Lavezzi chaque annĂ©e avec des pics de 2 500 personnes par jour !» Mais le responsable du rĂ©seau des aires marines protĂ©gĂ©es nâen reste pas moins positif et nous rappelle quelques avancĂ©es probantes. Plusieurs chartes, incitant Ă un comportement respectueux, ont Ă©tĂ© signĂ©es et lient lâOEC avec les plongeurs, les bateliers, les opĂ©rateurs de randonnĂ©e kayak⊠Forte du succĂšs du sentier sous-marin des Lavezzi, lâĂ©quipe du PMIBB incite dorĂ©navant les centres de plongĂ©e et les communes Ă mettre en place des randonnĂ©es palmĂ©es qui sont importantes pour rendre plus accessibles les richesses marines et pour sensibiliser le grand public.
Unir les efforts et mieux gĂ©rer l’impact du tourisme
Que ce soit techniquement ou financiĂšrement, lâOEC apporte par ailleurs son soutien aux communes afin de les aider dans lâorganisation des plans dâeau qui sont sous leur responsabilitĂ©. Ces collaborations permettent ainsi de mieux intĂ©grer la rĂ©serve naturelle dans la vie des communes concernĂ©es. «Le PMIBB va nous permettre Ă©galement de mieux gĂ©rer l’impact des bateaux de plaisance sur l’Ă©cosystĂšme marin» avance Maddy Cancemi, «il faut arriver Ă interdire certains types dâancres, Ă faire du mouillage organisĂ© et Ă mieux gĂ©rer lâactivitĂ© nautique en dehors des ports.» Ă lâexemple du cas du sec Pelu au large des Lavezzi, oĂč des corps morts sont installĂ©s sur les sites les plus frĂ©quentĂ©s par les bateaux de plongĂ©e. Les mouillages organisĂ©s commencent Ă©galement Ă fleurir dans les ports corses tels que Girolata, Calvi ou La Rondinara, oĂč un projet gĂ©rĂ© par un investisseur privĂ© devrait bientĂŽt voir le jour. Par ailleurs, certains mouillages seront bientĂŽt interdits dans des zones prĂ©cises de la rĂ©serve, tout comme les jet-skis et les kitesurfs. «Le PMIBB nous permet de penser la MĂ©diterranĂ©e Ă un niveau global et d’unir nos efforts pour reprendre une situation qui est certes dĂ©sastreuse dans certains coins de la MĂ©diterranĂ©e mais que lâon peut encore amĂ©liorer. Et nous en avons la preuve.» conclut Guy-François Frisoni.
Limitation du trafic maritime dans les Bouches
Afin de mieux contrĂŽler la navigation maritime au large des cĂŽtes, la France et l’Italie ont rĂ©clamĂ© le classement du dĂ©troit en Zone Maritime ParticuliĂšrement VulnĂ©rable (ZMPV) auprĂšs de l’Organisation Maritime Internationale (OMI). ValidĂ©e en juillet 2011, ce classement consacre le caractĂšre exceptionnel du site au niveau international et lui permet surtout d’ĂȘtre protĂ©gĂ© plus efficacement contre les risques liĂ©s au transports maritime de matiĂšres dangereuses. En effet, jusqu’Ă cette date, pas moins de 4 000 navires de transport empruntaient ce dĂ©troit et prĂšs de 13 000 tonnes d’hydrocarbures et autres matiĂšres dangereuses y transitaient chaque annĂ©e !
Ce statut de zone sensible international est entrĂ© en vigueur au premier semestre 2012. Parmi les premiĂšres mesures, figure l’obligation – et non plus la recommandation – des navires d’emprunter le chenal dans le dĂ©troit qui mesure 11 km de large entre le sud de la Corse et le nord de la Sardaigne et qui en plus d’ĂȘtre Ă©troit, est peu profond et traversĂ© par de forts courants. La prĂ©sence d’un pilote français ou italien habituĂ© du coin sera Ă©galement fortement recommandĂ© pour accompagner les bateaux avec un tonnage important, et devrait Ă terme ĂȘtre obligatoire. Par ailleurs, la France souhaite filtrer les bateaux motorisĂ©s qui passent par le dĂ©troit et exclure ceux d’un certain tonnage qui transportent des marchandises dangereuses.
Une protection plus efficace, un contrĂŽle renforcĂ© et des moyens d’actions
Le parc marin, qui hĂ©berge 37% des espĂšces remarquables de MĂ©diterranĂ©e, est classĂ© en tant que ASPIM (Aires SpĂ©cialement ProtĂ©gĂ©es dâImportance MĂ©diterranĂ©enne) depuis 2009. «Lâattribution du statut dâASPIM au Parc Marin International permet dâĂ©tendre la compĂ©tence de lâEtat cĂŽtier en matiĂšre de protection des milieux marins au-delĂ des 12 milles des eaux territoriales, et permet donc Ă la France de renforcer ses moyens dâintervention et de rĂ©pression des actes de pollution volontaires, notamment concernant les dĂ©gazages ou dĂ©ballastages illicites» prĂ©cise Maddy Cancemi avec enthousiasme.
L’initiative la plus Ă mĂȘme d’entrer dans la catĂ©gorie des ASPIM reste la crĂ©ation du sanctuaire pour les mammifĂšres marins en MĂ©diterranĂ©e par la France, l’Italie et la PrincipautĂ© de Monaco. Ce sanctuaire a pour objectif de prĂ©server les populations de cĂ©tacĂ©s (1000 baleines et 25 000 dauphins) – dans une zone comprise entre la presqu’Ăźle de Giens, le nord de la Sardaigne et le sud de la Toscane – soit quelque 83 000 km2 de superficie marine.