Mission de suivi sédimentaire du récif corallien
«L’atout majeur de la SMMA c’est qu’elle implique tous les usagers du domaine maritime depuis l’élaboration du parc marin il y a 17 ans : pêcheurs locaux, plongeurs sous-marins et hôteliers» explique Peter Butcher le chef des 5 rangers du parc marin tout en embarquant le matériel scientifique et les équipements de plongée à bord. «Depuis la création du parc, l’écosystème marin a retrouvé une excellente santé, si vous ne me croyez pas, venez plonger avec moi !» Nous ne nous faisons pas prier et embarquons à bord du bateau de patrouille du parc cap sur « Piti Piton » qui émerge majestueusement des eaux translucides, à 10 mn de navigation de la base de la SMMA. C’est parti pour une mission de suivi sédimentaire sur la station superman’s flight !
Durant le trajet, Peter Butcher nous explique qu’avant les années 1980, les pêcheurs étaient les seuls à exploiter la zone de la baie de la Soufrière. Puis, le tourisme de masse a entraîné l’arrivée des plongeurs et des plaisanciers, et l’usage du milieu marin est devenu anarchique. La SMMA a été créée dans un contexte d’urgence afin de protéger les ressources marines et de réduire les conflits entre usagers. Originaire de Soufrière, Peter Butcher a intégré la SMMA depuis sa création. Après avoir commencé par installer les corps morts dans la baie pour les yachts, il s’est impliqué activement dans sa mission, occupant des fonctions très variées, depuis la verbalisation au suivi scientifique en passant par le sauvetage de plaisanciers. Il est aujourd’hui à la tête de l’équipe de rangers du parc marin et n’a toujours qu’un but majeur : veiller à la préservation de ses richesses marines.
Immersion scientifique à Superman’s flight
Tous les quinze jours, l’équipe de rangers procède à un suivi du dépôt de sédiments sur le récif corallien sur trois stations marines de la baie de la Soufrière. Un suivi biologique général du récif corallien est également réalisé tous les 6 mois et d’après Peter Butcher, l’équipe y a recensé près de 50 espèces de corail et environ 170 espèces de poissons. Mis en place peu après la création de la réserve, ce programme de suivi biologique des milieux (récifs, poissons, sédimentation…) est aujourd’hui très performant. Trève de paroles, il pleut à verse et le marin nous annonce notre positionnement sur le site de Superman’s flight, un nom pour le moins prometteur… Après une bascule arrière, nous voilà immergés dans un univers féerique. Le tombant descend en pente douce vers le fond qui atteint presque 500 m, et dès les 5 mètres, nous pouvons déjà admirer une faune et flore riches et colorées. Nous sommes tout de suite frappés par la taille et le nombre d’éponges barriques et par la diversité des coraux mous et durs qui se déclinent dans diverses couleurs. Conditionnés par la mauvaise visibilité et un courant assez fort, nous veillons à ne pas trop nous éloigner de Peter qui cherche la station marine. Grâce à un point gps précis, il repère rapidement les tubes en plastique qu’ils remplacent par les nouveaux. A la surface, l’eau sera retirée de chacun des tubes et la couche de sédiments sera pesée, révélant l’évolution de la couche sédimentaire déposée sur le récif.
Selon les apports du bassin versant par la rivière, les sédiments arrivent en quantité plus ou moins importante et s’accumulent dans la baie de la Soufrière. A terme, cela peut mener à l’asphyxie du corail. L’équipe transmet les données au département des pêches qui les traitent avec la collaboration de biologistes marins. « Depuis le passage de l’ouragan Tomas qui a touché Sainte-Lucie en novembre 2010, la rivière est très chargée en particules et les couches de sédimentation sont plus importantes. Cela devient préoccupant » s’inquiète le garde plongeur.
L’invasion du poisson lion
Mais, pour l’heure, une autre menace pèse sur les fonds marins de l’île et inquiète l’équipe de rangers : la prolifération du poisson Lion (pterois volitans). Cette espèce invasive qui vit normalement dans les eaux du Pacifique et de l’Océan Indien a envahi la mer Caraïbe suite à un accident qui aurait été provoqué par la destruction d’un aquarium de Floride par un cyclone en 1992, ou encore par les eaux de ballasts. Très prisés des aquariophiles et des photographes, ce poisson se reconnaît grâce à ses lignes horizontales aux couleurs zébrées d’un rouge, marron et blanc. Ses piqûres, provoquées par ses magnifiques épines qui se déploient en éventail, ne sont pas mortelles. Toutefois, elles sont souvent très douloureuses et peuvent conduire à un état de choc pour un plongeur ou un nageur… Mais au-delà de la douleur qu’il peut infliger aux baigneurs, ce poisson de toute beauté fait de sérieux ravages sur son passage. Capable de pondre plusieurs milliers d’œufs tous les 4 jours, cette espèce n’a aucun prédateur et possède un appétit d’ogre. Une soixantaine d’espèces vivant dans les récifs coralliens compose son menu et il raffole notamment des poissons juvéniles… Une conjugaison de facteurs qui peuvent contribuer à perturber tout un écosystème marin en peu de temps.
La chasse au lion est ouverte
« Ce poisson représente pour nous une triple menace : il induit un risque sanitaire, un risque pour la biodiversité et un risque économique pour les populations, dont le mode de vie dépend en partie de la richesse de la biodiversité» explique Peter qui revient justement d’une conférence sur ce thème organisée à Mexico. L’invasion a déjà touché le Venezuela, le Mexique et la quasi-totalité des îles caribéennes. De nombreuses campagnes ont été lancées dans les Caraïbes à l’attention des plongeurs et des pêcheurs pour les aider à identifier et à «chasser le lion». Divers ateliers sont ainsi organisés dans la région pour promouvoir les échanges d’expériences et de connaissances et pour renforcer la coopération régionale et tenter d’enrayer l’invasion. Par ailleurs, la question se pose aujourd’hui sur le fait d’introduire une espèce venant d’une autre mer qui pourrait le combattre et le manger. Une étude est cependant en cours pour mesurer les risques potentiels d’invasion de ce nouveau prédateur dans un écosystème qui n’est pas le sien.
Seul espoir dans ce scénario catastrophe : ce poisson présente un intérêt commercial pour sa chair qui serait délicieuse d’après Peter qui l’a goûtée et appréciée. Durant les ateliers, les participants ont même appris à en faire des filets ! « Ce produit peut être valorisé, et nous allons essayer de le vendre. Pour cela, il faudra mettre en place des outils de promotion, afin que les gens apprennent à le cuisiner » s’enflamme Peter jamais à court d’idées.
La population locale a accepté la SMMA
Le contrôle des usagers du parc marin fait partie des fonctions quotidiennes des rangers. «Nous patrouillons la zone afin de nous assurer que les usagers respectent bien le règlement et nous percevons les droits d’entrée auprès des plaisanciers». Peter Butcher nous montre une des bouées blanches et cylindriques qui marquent les frontières des différentes zones et nous précise que l’ancrage est autorisé seulement dans les aires dont les fonds sont sablonneux, mais n’est pas autorisé dans les réserves marines. Des bouées d’amarrage blanches et bleues ont également été installées à l’attention des yachts, tandis que des bouées d’amarrage rouges sont mises à disposition des bateaux de plongée locaux. Les rangers s’assurent par ailleurs qu’aucune activité illégale n’est pratiquée, comme la pêche au harpon, la pêche au casier, l’utilisation des filets maillants ou des trémails. En tant qu’agents spéciaux de police, ils ont le pouvoir de verbaliser et n’hésite pas à agir quand la situation l’impose. « Récemment nous avons verbalisé des pêcheurs en apnée originaires de Castries qui chassaient dans la réserve marine ; ils ont dû s’acquitter d’une amende de 1000 US$ chacun » nous raconte Peter, « une somme énorme pour les gens d’ici ! » Une amende qui prouve les efforts mis en place par le pays pour préserver ses ressources marines.
Le récif corallien en meilleure santé et la biomasse des poissons en croissance
D’après Peter, 75% de la population a compris et accepté le fonctionnement de la SMMA (consulter le site internet) dont l’effet positif est aujourd’hui prouvé. D’après les observations scientifiques, le récif corallien est en meilleure santé et la biomasse des poissons en croissance. Les pêcheurs ont d’ailleurs pu le constater au niveau de l’augmentation de leurs prises dans les aires de pêche prioritaires voisines. D’ailleurs afin d’inciter les pêcheurs à pêcher en haute mer et non plus autour du récif, des dispositifs de concentration de poissons (DCP) financés par le fond français de l’investissement ont été installés à 10 km des côtes sur la route migratoire des pélagiques. « Au bout d’un certain temps ces bouées ont permis l’apparition d’une véritable chaîne alimentaire qui attire aujourd’hui les gros poissons… et les pêcheurs y trouvent une compensation importante » conclue Peter Butcher avec un air de contentement. Si la SMMA représente un modèle dans la zone Caraïbe, un certain manque de moyen se fait sentir. L’équipe réclame par exemple un deuxième bateau afin de pouvoir mieux surveiller la zone et y intervenir plus efficacement. Les locaux de la base mériteraient à être rénovés et un centre d’accueil serait également bienvenu pour permettre aux visiteurs de mieux comprendre le but et le fonctionnement de l’aire marine protégée. D’ailleurs, l’extension de la réserve marine de la Soufrière jusqu’à Marigot est en cours et nécessitera de nouveaux moyens tant humains que matériels…
En attendant, nous rappelle Peter, les bénévoles sont toujours les bienvenus pour participer aux programmes de suivi scientifiques. Le message est lancé…