Quand on dĂ©barque sur lâĂźle aux Aigrettes, câest un peu comme si lâon dĂ©couvrait lâhabitat du cĂ©lĂšbre dodo (raphus cucullatus). Cette grosse volaille dodue frugivore Ă©tait trop lourde pour voler, ce qui en faisait une proie dâautant plus facile. Cette espĂšce endĂ©mique de lâĂźle Maurice a Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©e Ă la fin du XVIIĂšme siĂšcle aprĂšs l’arrivĂ©e des Hollandais et est devenue depuis lâanimal emblĂ©matique du pays et le symbole des espĂšces disparues. «Le dodo raffolait des fruits du bois dâĂ©bĂšne» prĂ©cise Martine Goder, jeune biologiste qui travaille Ă la MWF depuis 5 ans et sâimplique sans compter pour prĂ©server «ce qui reste du patrimoine naturel mauricien». «La disparition du dodo dont la chair Ă©tait trĂšs prisĂ©e par les marins en escale a entrainĂ© celle de 19 espĂšces de plantes et dâarbres, lâoiseau n’assurant plus la germination et l’Ă©parpillement des graines » explique la jeune femme. Titulaire d’une maitrise en Ă©cologie et conservation. Une grande partie de la forĂȘt indigĂšne fut ensuite dĂ©truite pendant la DeuxiĂšme Guerre mondiale, l’Ăźle aux Aigrettes servant de base militaire pour l’armĂ©e britannique. Puis, l’Ăźlot fut utilisĂ© pour l’Ă©levage de cabris, et l’introduction de l’acacia finit par recouvrir de larges surfaces de plantes indigĂšnes.
Retour Ă la nature originelle de Maurice
Si lâĂ©quipe de lâONG nâa pas pu ressusciter le dodo, elle est nĂ©anmoins parvenue Ă accomplir un vĂ©ritable miracle Ă lâĂźle aux Aigrettes, qui est devenue une rĂ©fĂ©rence internationale en matiĂšre de restauration dâhabitat naturel. Pendant 25 ans de dur labeur, l’Ă©quipe s’est attelĂ©e Ă dĂ©sherber les plantes et animaux invasifs prĂ©sents sur l’Ăźle et Ă les remplacer par des espĂšces endĂ©miques. «Notre objectif principal Ă©tait de recrĂ©er les liens manquant entre les diffĂ©rentes espĂšces afin de retrouver l’Ă©cosystĂšme d’origine» explique la biologiste mauricienne. Aujourd’hui, la diversitĂ© des plantes observĂ©es sur l’Ăźle aux Aigrettes se rapproche de celle d’il y a 400 ans, avec plus de 60 plantes indigĂšnes et une canopĂ©e presque aussi dense. Pour obtenir de tels rĂ©sultats, l’Ă©quipe de la MWF a dĂ» faire preuve d’inventivitĂ© en tentant de nouveaux procĂ©dĂ©s, telle que l’introduction de 18 tortues gĂ©antes d’Aldabra, une Ăźle des Seychelles. (Voir la vidĂ©o)
« RecrĂ©er les liens manquant entre les diffĂ©rentes espĂšces afin de retrouver l’Ă©cosystĂšme d’origine »
Tout comme le dodo, les deux seules espĂšces de tortues gĂ©antes endĂ©miques de lâĂźle aux Aigrettes ont disparues, entrainant lâappauvrissement des forĂȘts de bois dâĂ©bĂšne. «En se nourrissant des feuilles et des fruits, les tortues participent au bon Ă©quilibre de l’Ă©cosystĂšme» poursuit Martine Goder «aprĂšs leur passage Ă travers le systĂšme digestif des animaux, les graines retrouvĂ©es dans les excrĂ©ments germent quelque soit l’endroit oĂč elles ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es, et assurent ainsi la pousse de nouvelles plantes». DâaprĂšs la jeune femme, la prĂ©sence de cette espĂšce analogue Ă celle que lâon trouvait autrefois sur lâĂźle aux Aigrettes a donc largement contribuĂ© Ă reconstituer la forĂȘt de bois d’Ă©bĂšne. Une forĂȘt qui possĂšde un lien trĂšs important avec lâĂ©cosystĂšme de lâĂźle, servant Ă la fois de refuge et de garde-manger pour de nombreuses espĂšces endĂ©miques comme le gecko Ornate jour et le pigeon rose, deux espĂšces rĂ©introduites sur l’Ăźlot par la MWF. «L’histoire du pigeon rose est une vĂ©ritable success story ! Alors qu’on ne comptait plus que 9 individus en 1990, ils sont aujourd’hui 54 Ă voler au-dessus de l’Ăźle aux Aigrettes et 380 au-dessus du pays» !
Un musée vivant en plein air tropical
L’Ăźle Maurice possĂšde plusieurs espĂšces d’oiseaux et de reptiles rares qui risquent de disparaĂźtre s’ils ne sont pas protĂ©gĂ©s. « Sur les 80% des espĂšces d’animaux menacĂ©es de l’Ăźle Maurice, 45% sont des espĂšces endĂ©miques » prĂ©cise Martine Goder. Face Ă ce constat, la MWF a mis en place des programmes de protection pour les espĂšces menacĂ©es dont la plupart se dĂ©roulent encore sur l’Ăźle Ronde et sur l’Ăźle aux Aigrettes qui est devenue un vĂ©ritable sanctuaire des derniers spĂ©cimens d’espĂšces rares et fragiles de Maurice. Ces programmes consistent Ă favoriser la reproduction en captivitĂ© avant de libĂ©rer les animaux dans un habitat adaptĂ© et de suivre leur rĂ©adaptation Ă la vie sauvage. Le cas du Scinque de Teilfair (Leiolopisma telfairii), espĂšce endĂ©mique de l’Ăźle Ronde qui Ă©tait au bord de l’extinction, illustre parfaitement l’action de la MWF.
GrĂące Ă la rĂ©introduction d’espĂšces, la nature de l’Ăźlot retrouve ses droits
En 2006, l’Ă©quipe a relĂąchĂ© 260 individus sur l’Ăźle aux Aigrettes qui avait retrouvĂ© un bon Ă©quilibre au niveau des plantes indigĂšnes. Un suivi rĂ©gulier est assurĂ© Ă l’aide de puces sous-cutanĂ©es qui permettent leur identification et qui indiquent leurs dĂ©placements, et leurs prĂ©fĂ©rences d’habitats. « Bien que la terre ne soit pas assez profonde pour leurs oeufs, les scinques de Telfair se sont bien intĂ©grĂ©s Ă l’Ă©cosystĂšme de l’Ăźle et notre rĂŽle Ă prĂ©sent est de trouver les conditions propices Ă leur reproduction, le but Ă©tant d’effectuer des relĂąchers sur d’autres Ăźlots mauriciens » dĂ©taille la scientifique en nous montrant un nid artificiel spĂ©cialement crĂ©Ă© par les biologistes. De mĂȘme, l’exemple du Cardinal de Maurice est Ă©vocateur de l’efficacitĂ© du travail rĂ©alisĂ© par la MWF. Entre les annĂ©es 1970s et 1993, la population de ce passereau endĂ©mique de l’Ăźle Maurice a chutĂ© de 60%. L’Ă©quipe a procĂ©dĂ© Ă la mĂȘme opĂ©ration que pour celle des scinques en relĂąchant et en suivant de prĂšs 90 individus sur l’Ăźle aux Aigrettes. « En Ă peine quatre ans, on comptait plus de 150 de ces oiseaux appelĂ©s localement « zozo bananes » » se rĂ©jouit Martine Goder qui au cours de la visite nous fera observer plusieurs individus baguĂ©s dont de magnifiques mĂąles arborant une robe d’un rouge Ă©clatant. AprĂšs le Pigeon des Mares, le Cardinal de Maurice et le scinque de Telfaire, l’Ă©quipe de biologistes a rĂ©introduit avec succĂšs l’Oiseau Ă lunettes, une autre espĂšce qui vivait jadis sur sur l’Ăźle aux Aigrettes. Petit Ă petit, la nature de l’Ăźlot est restaurĂ©e et retrouve ses droits.
Un modĂšle d’Ă©cotourisme
Quand la MWF s’est tournĂ©e vers l’Ă©cotourisme en 1995 pour renforcer son rĂŽle de sensibilisation auprĂšs du grand public, l’Ăźle aux Aigrettes s’est naturellement imposĂ©e comme le lieu idĂ©al pour y dĂ©velopper un projet.
AprĂšs la construction des infrastructures et la crĂ©ation d’un circuit expliquant la faune et la flore observĂ©es tout en mettant en valeur les travaux rĂ©alisĂ©s par la MWF, l’Ăźle fut ouverte pour la premiĂšre fois aux locaux et aux touristes. Un plan d’action et une stratĂ©gie d’Ă©cotourisme ont Ă©tĂ© consciencieusement Ă©laborĂ©s afin d’y dĂ©velopper le tourisme dans une dĂ©marche purement durable et de proposer une expĂ©rience unique d’Ă©cotourisme respectant les standards internationaux. Tous les bĂątiments et infrastructures ont d’ailleurs Ă©tĂ© construits Ă partir des ruines datant de la Seconde Guerre mondiale trouvĂ©es sur l’Ăźle, tandis que les sentiers ont Ă©tĂ© conçus de façon Ă minimiser leur impact sur la nature.
Les statues de dodo tĂ©moignent des ravages causĂ©s par l’homme sur la nature
Des panneaux informatifs ont Ă©tĂ© placĂ©s tout le long du circuit, et petit clin d’oeil, des statues de dodo Ă©mergent parfois des forĂȘts d’Ă©bĂšnes pour mieux rappeler aux visiteurs les ravages causĂ©s par l’homme sur la nature. Les visites de l’Ăźlot durent une heure et demie environ et sont obligatoirement accompagnĂ©es par les huit guides biologistes formĂ©s par la MWF. PassionnĂ©s et enthousiastes, les guides partagent leurs connaissances sur la faune et la flore de ce bout de paradis et nous aident Ă dĂ©crypter le rĂŽle des diverses espĂšces endĂ©miques de l’Ăźlot et les liens qu’elles entretiennent entre elles. « Le but de cette visite accompagnĂ©e est de faire dĂ©couvrir l’hĂ©ritage naturel de l’Ăźle Maurice que l’on ne peut observer nul part ailleurs et de transmettre une meilleure comprĂ©hension de l’environnement qui mĂšne en gĂ©nĂ©ral au dĂ©sir de le protĂ©ger » conclut Jean-Claude Sevathian, Plant Conservation Officer. Paris tenu ! La plupart des visiteurs sont subjuguĂ©s par cette nature omniprĂ©sente en se promenant sur les sentiers bordĂ©s d’imposants lataniers, de luxuriantes forĂȘts d’Ă©bĂšnes et de somptueux palmiers bouteilles tout en Ă©coutant roucouler les pigeons roses et en faisant attention de ne pas buter sur une tortue gĂ©ante d’Aldabra…
40 000 jeunes plants produits par an pour ĂȘtre plantĂ©s sur les Ăźles mauriciennes
La nurserie aux plantes est particuliĂšrement intĂ©ressante. CrĂ©Ă©e en 1997, elle sert de laboratoire oĂč prĂšs de 40 000 jeunes plants sont produits par an, certains sont plantĂ©s sur l’Ăźle aux AIgrettes et le reste sur l’Ăźle Ronde, un autre site de conservation trĂšs important de la MWF. Une occasion exceptionnelle pour les visiteurs de mieux comprendre l’Ă©cosystĂšme mauricien avec des informations pertinentes. Martine nous explique par exemple comment certaines plantes indigĂšnes ont dĂ©veloppĂ© une stratĂ©gie de protection, telles que les plantes « hĂ©tĂ©rophiles » dont les jeunes feuilles diffĂšrent radicalement des feuilles adultes de par leur goĂ»t, leur forme et leur couleur, de sorte qu’elles n’attirent pas les tortues, grandes amatrices de feuilles adultes plus tendres et plus vertes. Les jeunes pousses peuvent ainsi croĂźtre sans risque… La visite de l’Ăźle permet par ailleurs d’observer le magnifique panorama sur la baie de Mahebourg, face Ă l’Ăźle de la passe et Ă la montagne du lion.
Lâexploitation Ă©cotouristique de lâĂźle aux Aigrettes a contribuĂ© Ă crĂ©er une centaine d’emplois Ă temps plein et incite de nombreux jeunes Mauriciens Ă participer activement Ă des projets de reforestation. De mĂȘme, les visiteurs qui se rendent sur l’Ăźle aux Aigrettes contribuent au financement des actions de prĂ©servation menĂ©es par la MWF. Un modĂšle de tourisme durable vers lequel il faut espĂ©rer que l’Ile Maurice s’orientera un jour…