Avec 900 individus présents dans la passe de Tetamanu, Fakarava compte l’une des plus grandes densités de requins de récif au monde
«Dans ces îles éloignées des activités humaines la pyramide trophique est inversée, un paradoxe dans lequel les prédateurs sont plus abondants que leurs proies» explique Johann Mourier, qui a mené cette étude dans le cadre de son post-doctorat au CRIOBE (Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l’Environnement, USR 3278 EPHE-CNRS-UPVD) en collaboration avec l’équipe de plongeurs océanographes d’Andromède Océanologie.
D’après le chercheur, Fakarava se distingue de tous les autres lieux étudiés par l’exceptionnelle biomasse de requins qui est de 2 à 3 fois plus élevée. «Nous avons évalué que la population de requins gris aurait besoin d’environ 90 tonnes de poisson par an pour pouvoir satisfaire ses besoins énergétiques.»
Pourtant, la quantité de poissons présents à Fakarava est nettement inférieure aux quantités requises estimées. Après avoir équipé plus d’une douzaine de requins gris d’émetteurs acoustiques, l’équipe a découvert que le nombre de requins gris de récif dans la passe de Tetamanu, qui s’étend sur seulement 100 m de large et 30 m de profondeur, passe de 250 individus durant l’été à 700 en hiver. Or, le pic de l’hiver coïncide avec la ponte des mérous, qui rassemble quelque 17 000 poissons sur un habitat s’étendant jusqu’à 50 km !
Les agrégations de ponte peuvent concentrer jusqu’à 17 000 mérous provenant de divers récifs délivrant directement la nourriture aux requins gris
Chaque année, de juin à juillet, les mérous viennent systématiquement se reproduire dans la passe de Tetamanu. Les agrégations de ponte concentrent des milliers de poissons provenant de divers récifs délivrant directement la nourriture aux requins gris. Ceci explique comment des densités importantes de requins peuvent persister à l’état sauvage en dépit de leur besoin énergétiques importants.
Cette recherche démontre que les agrégations de ponte de poissons peuvent jouer un rôle important dans le maintien de fortes densités de prédateurs dans des récifs peu impacté par l’Homme. Cependant, Johann met en garde : «les interdictions de pêche de requin ne sont probablement pas suffisantes pour garantir la conservation des populations de requins si elles ne sont pas mises en œuvre conjointement avec les plans de conservation des agrégations de ponte des poissons. Si vous surexploitez ces agrégations, les requins n’ont pas d’autre choix que de quitter leur récif pour trouver de la nourriture».