La société Tahiti Nui Ocean Foods projette d’élever trois espèces de poissons indigènes : le napoléon, la loche saumonnée et la loche marbrée sur l’atoll de Hao. Dirigé par Wang Chen, le complexe aquacole sera construit sur l’emplacement où a été installée durant 30 ans la base arrière du Centre d’Expérimentation du Pacifique). Près de 600 000 tonnes de matériel devront être expédiés sur l’atoll pour ce qui sera le plus grand projet du territoire et qui d’après M. Wang devraient être en mesure d’employer environ 10 000 personnes.
La société, qui est une filiale du groupe chinois Tian Rui, a en partie choisi Hao pour sa piste est assez longue pour accueillir des avions de fret pour expédier le poisson directement en Chine et aux Etats-Unis.
Le site industriel de Tahiti Nui Ocean Foods (TNOF) traitera simultanément dans la centaine de bassins de l’écloserie et de pré-grossissement jusqu’à 90 tonnes de poissons.
Utilisation discutable de nano-argent pour remplacer les antibiotiques si décriés
Pour assurer la bonne croissance de ces 90 tonnes de poissons (œufs, larves, juvéniles) installés dans les bassins de l’écloserie et de pré-grossissement, un renouvellement quotidien de l’eau de mer (10% de chacun de la centaine de bassins) est effectué. Or, les eaux des bassins et bacs du complexe à terre contiennent notamment des effluents organiques constitués d’aliments non ingérés, des excrétions métaboliques, des fèces (matières fécales) voire des poissons morts et charrient des résidus solides et des nutriments.
Or le rapport précise qu’«aucune information n’a été communiquée quant à la composition chimique exacte des effluents organiques. Les protocoles communiqués sur la conduite de l’écloserie et du pré-grossissement sont réduits». Selon l’exploitant l’utilisation de produits chimiques et même thérapeutiques sera limitée au sein de l’usine aquacole. «TNOF assure que ses procédures ne comprennent pas de traitements préventifs ou de facteurs de croissance ou hormones, assez classique en élevage. La présente étude d’impact sur l’environnement a pris compte cette affirmation. Des mesures de suivi, de la colonne d’eau mais aussi des intrants sur l’atoll de Hao peuvent aisément permettre de vérifier la sincérité de la démarche».
De même, pour lutter contre les épidémies dans les bassins, l’exploitant a indiqué qu’il n’utiliserait pas d’antibiotiques ou d’antifongiques. «Dans le cadre de ce projet, pour la désinfection en aquarium et surtout en bassin, le choix technique a été fait de travailler avec du nano-argent». L’utilisation de ce produit comme alternative aux produits phytosanitaires – habituellement «un des points noirs de l’aquaculture» – sera une première en Polynésie française. Mais elle soulève des interrogations. «Dans le cas du nano-argent, peu de données indiscutables (c’est-à-dire obtenues selon des protocoles reproductibles, répétables et validés, à la fois par les experts scientifiques et réglementaires) relatives à l’impact des nano-objets sur la santé et l’environnement sont actuellement disponibles» . Le nano-argent est-il toxique ou pas ? «L’insuffisance de données doit conduire à considérer que celui-ci peut être potentiellement dangereux» conclut à ce sujet l’étude d’impact sur l’environnement. Le Comité européen scientifique des risques sanitairese a d’ailleurs confirmé – malgré le manque de données disponibles – que le nano-argent libéré par les produits de consommation présentait un potentiel toxique chez l’homme et dans l’environnement. Si l’utilisation du nano-argent est «généralisée» et «croissante», elle est source d’exposition «potentiellement toxique» des consommateurs et de l’environnement, via la libération de l’argent ionique (ions d’argent) par le nanomatériau, conclut le comité scientifique. «Dans de nombreuses études, la libération de l’argent dissous a été suggérée comme étant la principale cause de la toxicité chez l’homme et dans l’environnement».
De trop nombreuses questions restent en suspens
Toute la partie sur l’élevage des poissons dans le lagon pour leur grossissement jusqu’à leur taille adulte, dans cages flottantes, n’apparait absolument pas dans cette première étude d’impact, cette partie du projet étant sous-traitée aux aquaculteurs polynésiens qui assureront le grossissement des poissons dans des fermes aquacoles installées dans le lagon. En effet, l’occupation du domaine public maritime est exclusivement réservée à des résidents locaux.
Dans ses préconisations, le cabinet d’études pose d’ailleurs clairement la question d’une seconde étude d’impact environnemental à venir sur ces fermes aquacoles et s’interroge sur le meilleur mode opératoire à suivre. Il n’existe aujourd’hui aucune information sur le nombre de ces fermes aquacoles indépendantes où seront élevés les poissons, ni leur implantation : à Hao seulement pour des raisons de proximité de l’usine de traitement ? Sur d’autres atolls ? Et si oui lesquels ?
La capture des stocks de géniteurs sauvages pour amorcer la filière aura un effet sur l’état des peuplements sauvages ; la production d’aliments, les matières organiques dans les effluents rejetés à la mer, l’emploi de produits vétérinaires thérapeutiques auront des impacts sur l’eau, sur les peuplements naturels et bien entendu sur «l’acceptabilité sociale» du projet dans son ensemble.
La mise en place nécessaire d’un PGEM et d’un PGA
«Le développement d’un complexe aquacole puis les fermes rattachées soulèvent des problèmes que seule une vision générale et complète du lagon, de son fonctionnement comme un écosystème connecté à l’océan peut résoudre» indique aussi le rapport de l’étude d’impact qui tente de pousser les autorités locales à reprendre une partie de la réflexion en amont. «L’absence de planification des usages du lagon via un plan de gestion des espaces maritimes (PGEM) gêne le développement du projet».
Ce projet fait par ailleurs écho à celui concernant l’extension d’élevage de poissons dans le golfe du Mexique soutenu par la NOAA pour des raisons économiques. La décision a été contestée le ois dernier par le Centre pour la sécurité alimentaire (CSA) qui a déposé une plainte au nom des nombreux intervenants dans le Golfe du Mexique, y compris la Floride Wildlife Federation, Gulf Restoration Network, et plusieurs associations et organisations de pêche. «L’aquaculture industrielle en mer cause des dommages irréparables aux écosystèmes du Golfe et aux communautés côtières», a déclaré George Kimbrell, avocat principal pour le CSA et l’avocat des plaignants. Nous devons mieux gérer et protéger nos pêches autochtones, et cela ne se fera pas en adoptant des pratiques industrielles destructrices qui les mettent en danger. Cette poursuite, engagée par une nombre d’acteurs concernées, vise à mettre un terme à ces plans à court terme».
Dans le cadre du projet de ferme aquacole sur l’atoll de Hao, l’étude d’impact sur l’environnement pour la construction du complexe à terre est consultable à la mairie de Hao, au service de l’aménagement et de l’urbanisme à Papeete, à la direction des affaires foncières marines et minières du 10 mars au 15 avril 2016.