Une médiation a été mise en place entre les initiateurs de la réserve et les habitants afin de déterminer le partage de l’espace dans les atolls qui a toujours été réglementé par les « anciens ». Annie Aubanel-Savoie, en poste au service de l’urbanisme, a travaillé au sein de l’IFRECOR, l’initiative française pour les récifs coralliens, sur l’identification des différentes zones et a interrogé les « anciens ». « Les Puamotu étaient de véritables pionniers en matière de développement durable. Pour exploiter les ressources de l’atoll tout en les préservant, ils ont mis en place le fameux RAHUI, qui reposait sur un principe de jachère. Tous les trois mois, les travailleurs de coprah et leurs familles se déplaçaient pour exploiter la cocoteraie du motu voisin, laissant ainsi la nature se régénérer. Un bateau récupérait la cargaison de coprah sur un motu différent à chaque fois. Véritables nomades des cocoteraies, les habitants bivouaquaient de motu en motu pour finalement faire le tour de l’atoll ! »
Les initiateurs de la réserve ont pris en compte ce système de préservation exemplaire perpétué de génération en génération et l’ont intégré dans la mise en place du zonage.
Les Puamotu pionniers en matière de développement durable
La zone intermédiaire ou zone tampon est utilisée pour des activités compatibles avec des pratiques écologiquement viables. « Tetamanu, l’ancienne capitale des Tuamotu située à la passe sud de Fakarava, se développe grâce à la plongée et à l’écotourisme et représente l’exemple typique de la zone tampon » précise Annie Aubanel-Savoie. « Les pensions de famille ont été construites avec des matériaux locaux et sont équipées en panneaux solaires et en déssalinisateur. Leur décoration typiquement polynésienne a beaucoup de succès auprès des visiteurs. Le poisson est pêché uniquement en fonction de la consommation et les activités proposées sont toujours en rapport avec la découverte de la richesse du patrimoine local. » Cet endroit idyllique est très prisé des plongeurs. La passe de Tetamanu est exceptionnelle de par la richesse de la faune pélagique qui y transite et par son ambiance corallienne multicolore et lumineuse. Son étroitesse (230 m de large) et ses faibles courants en font l’une des passes les plus accessibles pour les plongeurs qui peuvent expérimenter des plongées en courant entrant et sortant, une occasion extrêmement rare dans l’archipel.
La zone de transition, siège des activités économiques et sociales
Enfin, la zone de transition comprend un certain nombre d’activités économiques, telles que la pêche, les fermes perlières et le coprah, ainsi que les établissements humains ou autres exploitations entourant l’aire centrale et la zone tampon. C’est le siège des activités économiques et sociales, qui doivent s’orienter vers un développement durable, au bénéfice et avec la participation de la population locale.
« Du fait de l’éloignement des atolls les uns par rapport aux autres, il a été décidé de mettre en place ces 3 catégories de zones dans chaque atoll » précise Miri Tatarata de la Direction de l’Environnement qui a dirigé le projet de l’extension du début à la fin et qui est convaincue de l’intérêt de ce zonage. « Ca a été un casse-tête pour définir les zones mais cette étape est indispensable pour permettre de protéger cet écosystème fragile tout en assurant un développement économique indispensable au maintien des populations dans leurs îles. »
Il n’y a véritablement aucun endroit où la pêche est interdite, mais seules certaines zones bien définies sont autorisées pour les pêcheurs professionnels qui vendent leurs prises à l’extérieur de l’atoll.
La réserve de biosphère des Tuamotu : un défi pour la population
L’établissement d’une réserve de biosphère représente un véritable défi pour l’ensemble de la population qui n’est pas toujours convaincue de son utilité.
La réserve des Tuamotu a été élaborée en étroite concertation avec les populations des îles. Une enquête publique a commencé en l’an 2000 et s’est déroulée sur cinq ans auprès des 1600 habitants des 5 communes. « Les habitants de l’atoll de Fakarava, au nombre de 750 environ, ont été sceptiques dès le début au point de rejeter le projet » explique Miri Tatarata qui a élaboré et dirigé l’enquête et qui s’est rendue sur le terrain dans chaque atoll.
« Les pêcheurs sont les yeux de la réserve »
Malgré un premier échec à Fakarava, plusieurs missions ont malgré tout été organisées dans les atolls d’Aratika, de Kauehi, de Raraka, et de Toau pour présenter le projet d’extension de la réserve de biosphère à la population. La détermination du zonage et les possibilités de gestion de la réserve, avec la mise en place de PGA (plan général d’Aménagement) et de PGEM (Plan de Gestion de l’Espace Maritime) ont clairement été expliquées et le projet a finalement été accepté par la majorité des habitants. À Moorea, le succès de l’implantation du PGEM a d’ailleurs confirmé la nécessité de partager et de réglementer l’espace naturel dans l’intérêt de tous. « Dans ce contexte, les gens de Fakarava ont baissé leur garde et se sont joints au projet » conclue avec satisfaction Valentina Peaton à la tête de l’association de la réserve et chargée de sensibiliser la population. « Notre rôle est de faire comprendre aux habitants l’utilité de la réserve de biosphère. Nous avons longuement discuté avec les pêcheurs professionnels pour leur faire comprendre l’intérêt de préserver certains endroits précis du lagon et l’utilité du zonage. N’ayant pas de moyens de contrôle, nous comptons sur leur présence pour surveiller le lagon et repérer d’éventuels « ona » ces étrangers qui viennent piller nos langoustes ou nos bénitiers. Les pêcheurs doivent être les yeux de la réserve ! » explique la jeune femme très engagée dans la protection de son atoll.
« Une réserve de biosphère ne peut être efficace que si la population s’implique dans sa gestion »
Véritable organe exécutif, le comité de gestion de la réserve représente tous les acteurs socio-économiques de la commune, à savoir les élus, les propriétaires de fermes perlières, les travailleurs de coprah, les pêcheurs et les acteurs du tourisme. Depuis la validation de l’Unesco, Adolphe Lissant, dit Ato, a été nommé coordinateur de la réserve de biosphère. Il est chargé de planifier et de coordonner toutes les activités qui se déroulent sur le site pour gérer la réserve de façon durable. Il s’est d’ailleurs rendu en Guadeloupe pour assister à une réunion internationale organisée par l’Unesco. « En échangeant avec les autres coordinateurs, je me suis rendu compte de l’importance de la dimension humaine » explique Ato en prenant son rôle au sérieux. « Une réserve de biosphère ne peut être efficace que si la population s’implique dans sa gestion. Il va nous falloir faire preuve de patience et de persévérance pour mettre en place une réglementation ouverte, évolutive et adaptable. Mais ce « pacte » devrait permettre de souder la population locale de sorte qu’elle puisse faire face aux pressions politiques, économiques et sociales extérieures. La réserve doit nous permettre de nous développer de façon durable. »
La réserve de biosphère : une opportunité pour le développement de Fakarava
Second plus grand lagon de Polynésie après Rangiroa (60km de long, 25 km de large), Fakarava est en train de suivre la carrière de son aînée considérée comme la mecque des plongeurs. Située à 70 mn de vol de Tahiti, l’atoll connaît actuellement un fort développement touristique. Outre le nombre croissant de pensions de famille qui fleurit, l’atoll est doté depuis 2002 d’un premier hôtel de standing international, le Maitai Dream. Les centres de plongée, désormais au nombre de 4, proposent des explorations inoubliables dans les deux passes de l’atoll reconnues pour la beauté et la richesse de leur faune et flore. Fiers de ce succès, les habitants de Fakarava tiennent néanmoins à préserver l’image de leur atoll comme un coin de paradis préservé en dehors des sentiers battus…
Le label réserve de biosphère pour un tourisme durable
Une volonté dans laquelle la réserve de biosphère trouve toute sa justification. « Le label réserve de biosphère va nous aider à trouver un équilibre pour développer le tourisme de façon durable et pour préserver la beauté de notre atoll » explique Valentina qui précise la création d’un comité local du tourisme. « Nous avons mis en place un programme de formation pour améliorer l’accueil touristique dans les pensions de famille. Nous souhaitons par ailleurs proposer de nouvelles activités et former plus de guides locaux pour faire découvrir aux visiteurs la richesse et l’histoire de notre patrimoine. » Une réflexion sur l’amélioration du traitement des déchets et sur l’énergie renouvelable est également menée lors de réunions organisées par le comité de gestion. La solution du centre d’enfouissement technique a ainsi été rejetée en faveur du transport des déchets recyclables sur Tahiti et l’implantation d’éoliennes est envisagée pour 2012.
Pour une meilleure conservation des espèces protégées
Plusieurs espèces de poissons, de coquillages et d’invertébrés sont actuellement protégées par des réglementations locales et internationales, tels la raie manta, les requins (toutes les espèces sauf le mako), les tortues marines (Chelonia mydas), Dermochelys coriacea, Eretmochelys imbricata), le triton (Charonia tritonis), les casques (Cassis rufa), le burgau (Turbo marmoratus), le bénitier (Tridacna maxima), la langouste, la squille (Lisiosquilla maculata), le crabe (Scylla serrata), la cigale de mer, le corail noir …
Pourtant, d’après Miri Tatarata et Annie Aubanel-Savoie, dans les faits, les contrôles sont quasiment impossibles étant donné la superficie à couvrir et le braconnage demeure une pratique encore répandue. Dans ce contexte, la réserve de biosphère peut innover et pousser les habitants à faire preuve d’imagination dans les modalités de concertation, de décision, d’information et de gestion afin de concilier conservation de la nature et développement humain. L’implication de la population dans la gestion de la réserve de biosphère est indispensable pour la réussite de ce projet qui deviendra un modèle pour les autres atolls.
Le label pour financer des programmes scientifiques
Le concept de réserve de biosphère est basé sur l’échange d’idées et de réflexions entre les réserves dans le monde. Des visites de coordinateurs étrangers ont ainsi été réalisées pour permettre aux habitants de Fakarava de s’enrichir de nouvelles idées afin de mieux gérer leur réserve. Le label permet surtout de trouver des financements plus facilement pour lancer des programmes scientifiques. «Un premier programme sur la raréfaction des martins-pêcheurs a vu le jour à Niau en partenariat avec le CRIOBE ainsi qu’une étude sur la disparition du kaveka (frégate en tahitien) à Kauehi » précise avec entrain Miri Tatarata. Reef-Check, qui possède une antenne en Polynésie, a par exemple mis en place un réseau de surveillance avec le soutien d’IFRECOR et le service de la pêche afin d’étudier l’infestation de l’Acanthaster (étoile de mer épineuse) dans différents atolls dont celui de Fakarava.
La réserve de biosphère des Tuamotu représente une véritable opportunité pour la commune de Fakarava. Destinée à un avenir touristique prometteur, la destination a tout à gagner en relevant le défis du développement durable.