La plus ancienne réserve de manchots antipodes
Câest lâune des plus belles histoires de conservation dâespĂšces rares de Nouvelle-ZĂ©lande. CrĂ©Ă©e en 1988 par les membres bĂ©nĂ©voles de lâONG Forest & Bird, la rĂ©serve Te Rere a permis de sauvegarder des dizaines de manchots antipodes menacĂ©s de disparition. A l’origine du projet, Fergus Sutherland est devenu leur fervent ambassadeur.
La réserve Te Rere : la plus ancienne réserve de manchots antipodes
Tout commence en 1981, lorsque Southland ForĂȘt & Bird obtient l’accord dâun agriculteur pour clĂŽturer une zone importante de nidification des manchots antipodes au sein des Catlins. Les premiers arbustes sont plantĂ©s dans le but de restaurer les lieux endommagĂ©s et de reconstituer lâhabitat de lâespĂšce. Il faudra attendre sept annĂ©es avant d’acquĂ©rir les 60 hectares nĂ©cessaires pour protĂ©ger efficacement la colonie de manchots.
CrĂ©Ă©e en 1988, la rĂ©serve Te Rere est la plus ancienne zone de protection des manchots antipodes de Nouvelle-ZĂ©lande et fut la plus importante comptant jusquâĂ 100 adultes jusquâĂ ce quâun incendie la ravage en 1995, tuant plus de 60 individus !
Une catastrophe pour la colonie et un coup dur pour lâespĂšce dont la population a diminuĂ© de 40% sur les 40 derniĂšres annĂ©es.
Depuis ce sinistre, les membres de Forest & Birds ont intensifiĂ© les efforts pour lutter contre les risques d’incendies et se sont mobilisĂ©s massivement pour restaurer la rĂ©serve suite Ă de nombreuses campagnes de reboisement et de lutte contre les prĂ©dateurs allogĂšnes.
La branche de Forest & Bird emploie un garde Ă temps partiel, en la personne de Fergus Sutherland, qui porte le projet depuis ses dĂ©buts avec une dĂ©termination exemplaire et une Ă©nergie exceptionnelle. Parmi ses missions principales, Fergus surveille la rĂ©serve et contrĂŽle lâenvahissement du terrain par les mauvaises herbes et surtout par les prĂ©dateurs, qui sont la menace principale des manchots.
ArnachĂ©s d’une ceinture de cowboy, nous nous Ă©lançons au coeur du bush, jonglant entre la cisaille des branches folles, le carnet de note et l’appareil photo, tout en suivant notre guide entre les fougĂšres arborescentes, les ruisseaux et la broussaille, entourĂ©s d’une nuĂ©e de mitch, ces satanĂ©s moustiques aussi collants que piquants.
Le temps de comprendre comment fonctionne un sĂ©cateur en s’acharnant sur quelques tiges de flax, nous rejoignons Fergus qui a glissĂ© avec une souplesse exemplaire sous un couvert vĂ©gĂ©tal oĂč se trouve un piĂšge Ă furets. A notre grande surprise il sort de son sac bleu turquoise des oeufs et une boĂźte de sardines Ă l’huile.  » Ce n’est pas encore la pause dĂ©jeuner, c’est pour attirer les hermines et furets qui apprĂ©cient particuliĂšrement ces denrĂ©es  » prĂ©cise le gardien de la rĂ©serve en crevant un oeuf et en le mĂ©langeant aux morceaux de sardines placĂ©s dans le piĂšge. Quelques mĂštres plus loin, nous l’observons retirer un rat mort d’un piĂšge avant d’y dĂ©poser des appĂąts empoisonnĂ©s. Des gestes qu’il rĂ©pĂštera machinalement une trentaine de fois dans la journĂ©e sur autant de piĂšges placĂ©s dans des endroits stratĂ©giques.
Eradiquer les rongeurs, principaux ennemis des manchots
Fergus explore, débroussaille et inspecte la réserve dans ces moindres recoins depuis plus de 25 ans ; personne ne connaßt aussi bien les lieux et ses habitants que lui. Au total, il capturera seulement 6 proies dans la journée.
Des efforts ingrats mais indispensables pour assurer la protection terrestre des manchots et des autres espĂšces rares d’oiseaux comme le puffin fuligineux, dont les oeufs attirent inĂ©luctablement les rats, furets et hermines. EstimĂ©s Ă plus de 30 millions en NZ, les opossums reprĂ©sentent Ă©galement un danger pour l’habitat et l’avifaune locaux. La Nouvelle-ZĂ©lande est le plus grand utilisateur du poison biodĂ©gradable 1080 qui permet de tuer rapidement les populations de mammifĂšres nuisibles. Une application aĂ©rienne peut tuer 98% des opossums et plus de 90% des rats dans la zone ciblĂ©e !
Cependant son utilisation fait lâobjet de nombreuses polĂ©miques entre les conservateurs et les Ă©leveurs dâopposums d’un cĂŽtĂ© et les chasseurs et les militants des droits des animaux de lâautre. Les prĂ©occupations sont Ă©galement soulevĂ©es au sujet de la sĂ©curitĂ© de l’approvisionnement en eau potable dans les zones oĂč est appliquĂ©e le poison. Pour sa part, Fergus privilĂ©gie les solutions alternatives et espĂšre Ă terme pouvoir construire une clĂŽture plus rĂ©sistante tout autour de la rĂ©serve afin de protĂ©ger dĂ©finitivement les espĂšces indigĂšnes des prĂ©dateurs.
Le feu, la pire menace de la réserve
En attendant, les membres de la rĂ©serve continuent de restaurer la forĂȘt et de planter diverses espĂšces d’arbres et arbustes endĂ©miques,  » comme le flax qui pousse trĂšs vite et qui n’est pas dĂ©truit par les opossums, ou le fuschia, le lin de NZ (phormium tenax) et le pittosporum  » nous Ă©numĂšre le gardien en balayant l’Ă©ntendue de la rĂ©serve.
S’Ă©rigeant au-dessus de la forĂȘt, les troncs morts des podocarpes tĂ©moignent encore du terrible incendie qui a ravagĂ© les deux tiers de la rĂ©serve en 1995.  » Les manchots sont rentrĂ©s de leur sortie en mer et ont rejoint machinalement leur terriers : 60 d’entre eux ont pĂ©ri sur les braises  » se rappelle Fergus la gorge nouĂ©e par l’Ă©motion. Depuis 1995, plus de 8 000 plants d’arbustes et d’arbres ont Ă©tĂ© implantĂ©s dans la rĂ©serve pour limiter la prĂ©sence des ravageurs et surtout pour crĂ©er des parefeux contre les risques d’incendies. D’une terre de cendres, la rĂ©serve s’est transformĂ©e en une magnifique forĂȘt primitive, une rĂ©surection qui n’aurait pu ĂȘtre possible sans l’archenement des bĂ©nĂ©voles qui la soigne avec leur coeur et leur sueur depuis 17 ans.
Une espĂšce solitaire et pudique
Nous poursuivons Fergus qui rampe Ă prĂ©sent dans une sorte de tunnel enfoui dans les sous-bois denses et Ă©pineux Ă la recherche de terriers qui sont toujours construits Ă l’abri du regard des autres couples de manchots.
 » Les couples de cette espĂšce sont solitaires et trĂšs pudiques Ă tel point que si deux couples venaient Ă ĂȘtre visibles l’un de l’autre, la saison de reproduction serait sans rĂ©sultat pour les deux couples !  » nous explique Fergus. Le nid est donc d’autant plus isolĂ© et difficile Ă trouver qu’il est construit Ă une certaine distance de la mer afin d’Ă©chapper aux lions de mer. Ces prĂ©dateurs sont de plus en plus nombreux sur la cĂŽte notamment depuis l’intensification de la pĂȘche au large des Ăźles sub-antarctiques oĂč Ă©taient Ă©tablies les plus larges colonies qui n’y trouvent plus autant de nourriture. Fergus a repĂ©rĂ© un terrier et nous fait signe d’avancer tout doucement afin de ne pas effrayer les Ă©ventuels occupants. Nous apercevons subrepticement un couple de manchots antipodes s’Ă©chapper de son refuge sous un tronc d’arbre laissant derriĂšre eux un tapis immaculĂ© de plumes. Nous sommes en pleine pĂ©riode de mue des manchots qui sont plus vulnĂ©rables et donc encore plus mĂ©fiants… Nous avons eu juste le temps d’observer leurs yeux jaunes et la bande de plumes jaunes pĂąles sur la partie supĂ©rieure de la tĂȘte, caractĂ©ristique de cette espĂšce qui vit exclusivement dans la partie sud de la Nouvelle-ZĂ©lande. Les Maoris l’appelle « hoihoi », signifiant bruyant, Ă cause de leur cri plus musical que les autres espĂšces de manchots.
Fergus note consciencieusement ses observations dans un carnet de note oĂč figurent les points GPS des nids de la colonie et des nouveaux-nĂ©s avec leur poids etc… La colonie se reconstruit peu Ă peu depuis lâincendie, oĂč seuls 40 individus ont survĂ©cu. D’aprĂšs le dernier recensement, la population a doublĂ© en 16 ans. Un chiffre qui n’est pas assez Ă©levĂ© pour assurer la pĂ©rennitĂ© de la colonie s’inquiĂšte Fergus.  » Les menaces sont constantes tant Ă terre quâen mer oĂč ils parcourent de longues distances et oĂč nous ne pouvons pas intervenir⊠«Â
La capacité de résilience surprenante des manchots antipodes
Le gardien rester nĂ©anmoins optimiste. L’Ă©quipe de bĂ©nĂ©voles revient de loin et a pu constater l’incroyable capacitĂ© de rĂ©silience de l’espĂšce. Aujourdâhui, elle se concentre sur la rĂ©habilitation de lâhabitat car plus la rĂ©serve sera prospĂšre, plus la population de manchots aura de chance de croĂźtre, ainsi que d’autres espĂšces indigĂšnes telle que les puffins fuligineux dont un couple a Ă©tĂ© aperçu rĂ©cemment pour la premiĂšre fois. D’aprĂšs le naturaliste, l’apparition de cet oiseaux est un excellent signe de bonne santĂ© pour la rĂ©serve Te Rere qui reprĂ©sente le plus bel accomplissement de sa vie.
 » A l’Ă©poque le gouvernement subventionnait le dĂ©frichement de la forĂȘt et les buldozers dĂ©truisaient les sites de nidification…  » se souvient Fergus,  » aujourd’hui, Te Rere, au-delĂ de la rĂ©serve de manchots, est devenue une sorte d’Ăźle originelle avec des espĂšces primitives de plantes et d’oiseaux « .
Un rĂȘve devenu rĂ©alitĂ©…